Le secteur de la téléphonie mobile est bouleversé par le boom des applications internet. Des applications comme WhatsApp, qui offrent des services de messagerie et de voix gratuits sur internet portent préjudice aux opérateurs de Télécom.
En Afrique le secteur de la téléphonie connait une évolution fulgurante. Selon l’Association mondiale des opérateurs de téléphonie mobile GSMA l’Afrique subsaharienne enregistrera plus d’1/2 milliards d’abonnés uniques au mobile, d’ici 2020. Le téléphone mobile s’impose comme un moyen de communication incontournable pour la société actuelle. (Selon le cabinet Deloitte, le continent comptera 660 millions d’habitants équipés d’un « téléphone intelligent » en 2020.)
Pour s’informer de tout ce qui se passe dans le monde, pour dialoguer avec une personne se trouvant à l’autre bout du monde,…le téléphone est devenu une nécessité. Ses multiples usages et son caractère indispensable font qu’en Afrique, presque deux habitants sur trois sont dotés de téléphones /smartphones.
Le boom des smartphones s’accompagne de la naissance de nombreuses applications de messagerie comme Viber, Skype, WhatsApp, Messenger. Des applications qui permettent de partager des images, des vidéos et de communiquer gratuitement avec son interlocuteur par internet. Même si la connexion (data) est payante, ces services permettent d’éviter les frais de communication qui reviendraient un peu plus cher si l’on utilisait le service d’appel et de messagerie des opérateurs de Télécom.
Au nombre de ses applications de messagerie, WhatsApp a su s’enraciner dans les habitudes de communication des Africains. Dans de nombreuses conversations et sur les réseaux sociaux, il n’est pas rare d’entendre, « tu as un numéro WhatsApp ? Donne-moi ton WhatsApp. Je t’ai écris ou laisser un message vocal sur WhatsApp. » Le service de messagerie WhatsApp tend à substituer les SMS traditionnels et à réduire les appels intra ou extra réseaux. Déjà en fin 2015 (un an après son rachat par Facebook), WhatsApp représentait 11% du trafic mobile en Afrique subsaharienne, deux fois plus que Facebook et 2,5 fois plus que YouTube, selon une étude du cabinet Sandvine. Mieux, l’application affichait une croissance de 50% entre fin 2014 et fin 2015.
Selon un rapport 2017 des agences numériques We Are Social et Hootsuite, sur les 191 millions d’utilisateurs actifs des réseaux sociaux, environ 172 millions n’utilisent que l’application WhatsApp et Messenger. Cependant, la plus populaire en Afrique reste WhatsApp, avec près d’une centaine de millions d’utilisateurs.
Bien qu’avantageux pour les utilisateurs Africains, WhatsApp fait grincer les dents des maisons de téléphonie mobile en Afrique. L’application fait irruption dans les chiffres de ces maisons causant un énorme manque à gagner. Selon Demba Diop, membre du conseil de régulation de l’ARTCI, en Côte d’Ivoire « Contrairement aux opérateurs, les services OTT opèrent sans licence ni cahiers de charges, ne paient pas d’impôts dans les pays africains et peuvent rapatrier librement leurs revenus.»
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Guy Zibi, directeur général du cabinet spécialisé Xalam Analytics observe pour sa part que, « Dans la plupart des cas, nous constatons une perte de chiffre d’affaires allant de 10 % à 30 % dans la voix à l’international et de 10 % à 20 % pour les SMS ». Des pertes qui ne sont pas compensées par la progression de la consommation de données via l’internet mobile (data), la voix représentant encore près de 80 % du chiffre d’affaires du secteur.
Face à ce « tueur silencieux » qui sévit, les opérateurs africains de téléphonie mobile étaient montés au créneau. En Octobre 2015, en Afrique du Sud, Mteto Nyati, le patron de MTN South Africa s’insurgeait : « Ces acteurs dégagent des bénéfices énormes ! Mais combien ont-ils investi en Afrique du Sud ? ». Il a d’ailleurs, demandé à l’Icasa, le régulateur national, d’intervenir pour parvenir à un « traitement équitable » entre les opérateurs de télécoms et les services par contournement OTT (over-the-top services), qui permettent le transfert de sons, de messages et de vidéos via internet, sans lien avec le fournisseur de réseau.
Même son de cloche au Maroc où depuis fin décembre 2015, l’utilisation des applications de téléphonie est bloquée sur les réseaux 3G et 4G. Une mesure draconienne qui suscite une vive opposition des utilisateurs, qui ont multiplié les pétitions et tentatives de contournement.
Contre cette concurrence de WhatsApp, les groupes de Télécom en Afrique ont adopté une stratégie pour répliquer. Celle-ci va de la fermeture de l’accès des applications de messagerie à l’internet mobile jusqu’à la réduction du débit, en passant par une surfacturation de la data utilisée par ces services.
En Égypte et au Maroc, les régulateurs ont quand à eux défendu le blocage de ces applications. « L’acheminement de tout trafic téléphonique au Maroc ne peut être assuré que par des exploitants de réseaux publics », a estimé l’ANRT début janvier 2015. Sous la pression de MTN et de Vodacom, l’Assemblée nationale sud-africaine a quant à elle lancée, le 26 janvier 2015, une consultation parlementaire au sujet des services OTT.
Toutefois, ces mesures mettent le régulateur dans une mauvaise posture. L’interdiction de ces applications est mal prise par les populations et peut retarder l’innovation technologique. Leur impact sur les revenus des opérateurs et des États [licences, impôts, taxes] est également important.
Rivaliser donc avec les services OTT sur leur terrain s’annonce loin d’être aisé; la solution passe plutôt par de nouveaux relais de croissance, avec des services à valeur ajoutée. Une autre option consiste aussi, à développer ses propres applications de messagerie et d’appel.
Fernand Appia.
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