Les visuels destinés à la fête des mères reprennent deux principaux archétypes : celui de la mère avec l’enfant sous diverses postures ou celui de la mère courageuse qui prend soin de sa progéniture. A cette occasion, les agences conseils en communication d’Abidjan ont publié leurs visuels sur Facebook. Parmi ceux-ci se démarque celui de l’agence Voodoo communication qui a suscité bien des réactions et des passions. Nous tenterons ici d’en comprendre les raisons.
Magiquement maman
Cette image ne reprend aucun archétype : aucune figure féminine ou infantile. Au niveau du texte, on observe que le texte « le sort a décidé que vous seriez maman » oriente la lecture de l’image et le reste apporte du sens non contenues dans l’image. Pour mieux comprendre ce visuel, il faut prêter attention à l’épingle qui caractérise l’identité de l’entreprise voodoo. Couplée à une poupée, elle est une composante essentielle dans l’imagerie du «rituel voodoo». Par conséquent, le préservatif est le substitut, dans une certaine mesure, de la traditionnelle poupée voodoo. Ici, le sorcier ne lancera pas de sort à un humain mais plutôt à un objet.
Le «sort» évoque deux notions : le hasard et la magie voodoo. Dans le premier cas, la fatalité édifie de manière classique l’imaginaire du sort et dépossède l’humain du pouvoir de contrôler sa vie. Dans le deuxième, le sort en tant que force magique pose l’existence de deux forces contraires : l’attaquant (l’épingle) et l’attaqué (le préservatif) qui transforment le voodoo en un anti-contraceptif.
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Alors que le préservatif évite la grossesse, l’épingle expose à cela. Dans cette même logique, les signifiés associés à l’opposition épingle vs préservatif sont : le sortilège vs la contraception, la protection vs l’exposition, avec enfant vs sans enfant et la vie vs la mort. La contraception est conçue comme un obstacle à l’enfantement et à l’obtention du statut de mère. Le message véhiculé est celui-ci : le voodoo fera de vous une mère. Sous cette forme, le message semble clair mais cela serait ignorer sa complexité.
L’inéluctable maternité
Intéressons-nous maintenant à un point : si le message est aussi simple, pourquoi a-t-il suscité tant de réactions ? Une image sous sa forme plastique peut paraître simple et afficher toute complexité au niveau du sens.
Le sort en tant que décideur retire à l’humain le pouvoir de contrôler sa vie. En d’autres termes, l’acquisition du statut de mère n’est plus un fait humain mais celui du hasard. Le sort n’engage pas une entité humaine mais plutôt une entité abstraite. Il n’y a donc aucune possibilité d’éviter d’être mère. Par ailleurs, le sort est également le signe qu’un «prêtre voodoo» officie le rituel (qui ne serait nul autre que l’annonceur). Nous avons donc deux acteurs cachés : le prêtre voodoo et le destin. Le prêtre voodoo use de magie et le destin, d’imprévus. Bien que ces acteurs cachés aient le même pouvoir, ils conditionnent l’interprétation du message :
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Piste de lecture 1 : Le sort implique le prêtre voodoo. Le prêtre voodoo provoquera la grossesse par sa magie. La lecture sur cette piste amène à voir l’annonceur comme un magicien qui offre la joie de la maternité : c’est le récit de l’immaculée conception. Le préservatif devient un symbole de fertilité au même titre que la poupée représente la cible d’un sortilège. Le préservatif n’est pas interprété pour sa valeur fonctionnelle mais pour sa valeur symbolique.
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Piste de lecture 2 : Le sort implique le destin. Utiliser un contraceptif et se retrouver face à l’imprévu ne suscite guère d’émotions positives. Alors que le hasard devient le maître de la vie, l’impuissance face aux circonstances sensibilise l’Homme à vivre des passions : la colère, la frustration ou la tristesse. Ici, il n’y a aucune magie, il n’y a que la fatalité et l’adversité. Le préservatif est perçu pour sa valeur fonctionnelle (éviter la grossesse) dont la mission a été écourtée par l’épingle.
Dans les deux cas, la femme devient une mère en dépit de son souhait. Avec la piste 1, son obéissance transforme la situation en une bénédiction tandis qu’avec la piste 2, elle subit pleinement et la maternité s’associe à la malédiction. Les deux pistes coexistent au sein de l’image. La compréhension du message est fonction de l’acteur caché que le lecteur entrevoit.
Perméabilité, préservatif et volition
Rendre le préservatif perméable est un geste qui revêt du sens. Recourir au contraceptif manifeste le refus d’être parent. De ce fait, quel sens attribuer à la perméabilité du préservatif ?
La perméabilité voulue traduit une volonté de dissimuler l’acte à l’un des partenaires. Une telle situation conduirait à de véritables crises émotionnelles notamment au sentiment de trahison. La perméabilité imprévue provoquera de la surprise à laquelle succédera une angoisse potentielle. La venue d’un enfant dans ce contexte pose la question de son identité. Des expressions telles que «bâtard» ou «enfant non désiré» démontrent l’embarras que le rejet ou l’acceptation de cette situation engendre.
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Enfanter du fait d’une perméabilité du préservatif s’exprime par les mots «enfant de capote percée», une expression qui dans le contexte ivoirien est des plus péjorative. Cette production culturelle fait écran à la lecture de la piste 1 précédemment expliquée car la mise en mots de l’image est littéralement » préservatif/capote percée ». Le dilemme relève donc de la relation texte-image et des codes culturels convoqués. Le déchaînement de passions, de discours s’explique par deux faits : la correspondance de l’image à une expression culturellement mal vue et une polysémie assez marquée du texte .
En conclusion
La question la plus récurrente qui nous soit parvenue était celle-ci : est-ce normal que l’on puisse faire une pub pareille ? La créativité, c’est bouleverser les codes sans totalement les détruire. Faire abstraction des codes culturels qui construisent les valeurs d’une société constitue certes une prise de risque quant à l’adhésion au message mais peut s’avérer une stratégie efficace si le sens est circonscrit avec le texte qui accompagne l’iconique. Dans le cas d’espèce, la polysémie est forte et ne peut qu’engendrer des débats. La fatalité a toujours été source de passions dans l’histoire et il ne peut qu’en être ainsi, quand elle attrait à la procréation, un sujet sensible, un lieu de prescriptions et d’interdits culturels. Le texte ne cadre pas assez pour en orienter clairement les sens. L’image offre donc autant de chances d’argumenter en sa faveur qu’en sa défaveur et c’est là que se joue le tour du maître : choquer non pas pour plaire mais pour gagner.
Daryl FAKAMBI Consultant Sémioticien
Darkfak@Yahoo.fr
https://rythmessemiotik.wordpress.com/
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